Focus sur un projet SmartFish : la fermeture saisonnière de la pêche aux ourites (poulpes) a Rodrigues

Au soleil levant, des silhouettes déambulent têtes baissées dans le lagon de Rodrigues. Ce sont les « piqueuses d’ourites (poulpes) ». Ces femmes, munies d’un chapeau, de bottes et d’un pic, arpentent le lagon chaque jour en quête des fameuses ourites si typiques de la gastronomie rodriguaise et si recherchées à Maurice, voire au-delà.
Sous leurs pieds, les coraux s’écrasent. Au bout de leurs pics, les ourites se débattent mais finissent toujours par s’avouer vaincues.
Cette pêche, très répandue à Rodrigues, fait partie du style de vie insulaire de ce petit territoire mauricien disposant d’un lagon deux fois plus grand que l’île. Mais elle a un coût écologique élevé, avec la dégradation de l’habitat des ourites et autres espèces sous-marines, qui s’est doublé, avec le temps, d’un coût économique préoccupant. En effet, la production d’ourites a continuellement baissé depuis le début des années 2000 et, de fait, les revenus également.
Le manque d’opportunités d’emplois dans d’autres secteurs se sont traduits par une augmentation croissante du nombre de pêcheurs à Rodrigues, la pêche étant facilement accessible à tous puisque la détention d’une carte de pêche n’est pas obligatoire. En 2012, 730 pêcheurs d’ourites n’étaient pas enregistrés. Ainsi, bon nombre de personnes se sont tournées vers la pêche comme moyen de subsistance.
Protéger les poulpes et les pêcheurs
Pour pallier ce double problème, le projet SmartFish de la Commission de l’océan Indien financé par l’Union européenne a accompagné les autorités locales dans la mise en place d’une fermeture saisonnière de la pêche à l’ourite. C’était en 2012.
Cette saison de fermeture n’a pas été choisie au hasard ; elle correspond à une période clé de leur cycle biologique : la période de reproduction.
Dès la première saison de fermeture, les résultats ont été au rendez-vous. Les poulpes se reproduisent plus facilement, sont plus gros et plus nombreux. Le volume annuel des pêches est passé de 383 tonnes l’année précédente, à 508 tonnes.
Ces résultats positifs ont fait disparaître les craintes des pêcheurs rodriguais qui se sont pleinement appropriés cet exercice de gestion responsable des pêches. En effet, Rodrigues a depuis adopté la fermeture saisonnière et à même décider d’en instaurer une deuxième annuellement.
Des activités alternatives
A Rodrigues, les pêcheurs perçoivent des allowances, des indemnités, lorsque les conditions de pêches ne sont pas optimales. Dans le cadre de la fermeture de la pêche à l’ourite il est indispensable d’assurer des revenus aux pêcheurs. Conserver le système d’allowances durant deux mois serait une mesure trop coûteuse pour les autorités.
La solution ? Le PSE, paiement pour services environnementaux.
Les pêcheurs participent à des activités rémunératrices d’intérêt général durant la période de fermeture. Ces activités correspondent au programme d’action des services publics et des ONG locales. Ces alternatives concernent notamment le nettoyage des plages, la réhabilitation des terres agricoles ou bien encore la lutte contre les espèces végétales invasives et l’entretien de rivières et réservoirs.
Maurice se jette à l’eau
Au vu du succès rencontré à Rodrigues, un projet pilote de fermeture des pêches est lancé d’août à octobre 2015 dans le sud de l’Ile Maurice où se trouve une forte concentration de villages de pêcheurs. Résultats probants : les prises qui ne dépassaient pas les 400 gr avant la fermeture atteignaient environ 1 kg à la réouverture.
L’initiative, soutenue par la COI et l’UE à travers SmartFish et par le Small Grant Program du PNUD, est alors reconduite par le gouvernement mauricien sur l’ensemble du territoire en 2016, avec le soutien renouvelé de la COI et d’ONG locales.
La réplication de ce modèle rodriguais témoigne d’une forte volonté du gouvernement mauricien de s’engager sur la voie du développement durable. Le succès mauricien a retenu l’attention des autorités de Zanzibar (Tanzanie) qui, avec le soutien du programme SmartFish, ont fait le déplacement à Rodrigues pour la réouverture de la pêche à l’ourite en octobre 2017 et ainsi apprendre de cette expérience réussie pour la reproduire.
Un engagement nécessaire des pêcheurs pour la pérennité du projet
A Maurice comme à Rodrigues, il est important d’associer les pêcheurs au programme. Non seulement ils sont directement touchés par l’initiative, mais ce sont les premiers vecteurs de diffusion de l’information et donc de sensibilisation et de prévention au sein de leurs communautés.
Conscients de l’impact de la surpêche sur leur avenir et celui de leurs enfants, certains pêcheurs inquiets au début du projet, reconnaissent à présent l’intérêt majeur de la fermeture saisonnière de la pêche à l’ourite. Bon nombre d’entre eux s’engagent désormais dans la surveillance communautaire des pêches, en tant que Community Resource Observer par exemple.
La pêche est une des principales ressources renouvelables dont dépend bon nombre de pays dans la région de l’océan Indien occidental pour assurer leur sécurité alimentaire et leur croissance économique. Or, les ressources sous-marines font face à une pression de plus en plus forte. C’est notamment le cas de l’ourite (poulpe) qui est l’une des premières richesses du vaste lagon de Rodrigues (Maurice).
Le projet de fermeture saisonnière des pêches participe directement à la réalisation de plusieurs Objectifs de développement durable, notamment l’ODD 1 pour la lutte contre la pauvreté, l’ODD 2 visant la sécurité alimentaire, l’ODD 5 promouvant l’autonomisation des femmes, l’ODD 12 pour un mode de production et de consommation responsable, l’ODD 14 dédié à la préservation des milieux et espèces marins et l’ODD 17 encourageant les partenariats.
Le projet SmartFish
SmartFish est un programme régional de pêche, mis en œuvre par la Commission de l’océan Indien (COI) de 2012 à 2018 avec le soutien de la FAO en collaboration avec la COMESA (Common Market for East and Southern Africa), l’East Africa Community (EAC), the Inter-Governmental Authority on Development (IGAD) ainsi que d’autres institutions et organisations.
Financé à hauteur de 37 millions d’euros par l’Union européenne, il couvre 20 pays de l’Afrique orientale et australe et de l’Indianocéanie..